Abordons la question qui fâche.
Oui, je veux bien parler des manuscrits.
Des manuscrits, on en reçoit beaucoup. Vraiment beaucoup. Tous les deux ou trois jours, en moyenne, entre notre boîte mail et boîte aux lettres. De Suisse, de France, d’Europe,
Et j’avoue, en fait, c’est submergeant.
On dit qu’un éditeur jette 95% de ce qu’il reçoit. Quand j’étais étudiante, je trouvais cela injuste, et je me disais qu’ils pourraient quand même faire un effort.
Mais je dois avouer que la réalité est autre : les très bons manuscrits qui arrivent, on se les arrache, je veux dire, il faut être le premier éditeur à répondre pour l’avoir, cela va très, très vite. Parfois, l’auteur vient chez nous, parfois chez le confrère qui a répondu juste avant nous ou, parfois, l’auteur choisit celui pour lequel il ressent le plus d’affinité, ou celui qui lui permettra de se lancer le plus loin possible – c’est le jeu !
Et, du côté de l’éditeur, il faut aussi que le « courant » passe et qu’on ait envie de travailler ensemble : le travail d’édition comprend une grande part d’humain, et de sensible, d’autant plus qu’on touche à l’art et, l’art, c’est tellement proche de l’essence de l’être !
A l’opposé, il y a les manuscrits dont on sait d’emblée qu’on n’en fera rien : ceux qui n’ont vraiment rien à voir avec notre ligne éditoriale (non, on ne publie ni essai sociologique, ni livre de cuisine, ni biographie…). Ceux qui sont vraiment mal écrits (la langue, mais aussi la façon de mener un texte, un dialogue qui enchaîne les tirets sur quatre pages sans rien entre deux, c’est indigeste !). A cette catégorie j’aurais tendance à ajouter ceux qui sont envoyés dans le même mail à quarante-trois éditeurs différents mis en copie, j’ai juste envie de balancer le mail à la corbeille et ceux, de plus en plus nombreux, malheureusement, qui arrivent, ni bonjour ni au revoir, pas de présentation de l’auteur, pas de « lettre de motivation », quelconque, juste « bonjour, j’ai écrit ce roman, merci pour votre retour, PS : compte d’éditeur uniquement ». Ça m’agace, franchement, c’est juste une question de politesse, là.
Mais, entre ces deux extrême, il y a la vaste majorité des manuscrits : ceux qui sont bien, mais… intéressants, mais… dont on aurait envie de travailler avec l’auteur, mais…
Ces manuscrits qui nous obligent à réajuster sans cesse la barre : où s’arrête l’édition et où commence le coaching ?
Car c’est de cela qu’il s’agit. Nous sommes une petite structure, donc notre rôle est de découvrir de nouveaux talents qui, par la suite, iront peut-être un jour, on peut rêver, chez Gallimard, et nous en sommes bien conscients. Mais lorsqu’il faut tellement reprendre un manuscrit que ça en devient du coaching, s’arrête mon rôle d’éditrice.
Sur chaque manuscrit sur lequel il y a un « mais », c’est à cette barre que je pense. Travail d’édition en vue d’un livre publié et dans les mains du lecteur ? ou travail de coaching nécessaire pour que ce manuscrit puisse ensuite être digne d’être publié ?
Et souvent, ce qui tranche, c’est l’envie de travailler avec l’auteur et l’enthousiasme de faire vivre et promouvoir une œuvre. Ce « petit plus » qui, dans un livre, nous donne l’énergie de le défendre. Car, étant donné le travail que cela représente, les dix livres que nous publions chaque année, nous devons vraiment avoir l’envie de les faire connaître, sur les stands, auprès des libraires et du public !
Enfin, là où le bât blesse, c’est que j’ai vraiment envie de donner un retour précis et poli aux auteurs qui nous ont adressé leur manuscrit… mais c’est ce qui demande beaucoup de temps. Même si « ce n’est pas notre ligne éditoriale » s’avère souvent réellement juste, j’apprécie de donner un retour plus précis sur notre lecture. Parfois, je me dis « OK, ce matin, j’attaque les manuscrits », et à midi, j’ai répondu à quatre ou cinq auteurs seulement.
Donc, chers collègues éditeurs, si vous avez une formule magique, je suis preneuse.
Chers lecteurs, si vous dévorez les livres et aimeriez en lire plus, nous adorerions bénéficier de votre aide dans la lecture des manuscrits que nous recevons par pavés entiers.
Enfin, chers auteurs, acceptez toutes mes excuses si vous n’avez jamais eu de réponse… ce n’était pas une volonté de ma part de ne pas répondre, croyez-le bien !
Et si votre manuscrit est posé sur mon bureau depuis trois ou six mois, n’hésitez pas à me contacter pour en demander des nouvelles… Il a peut-être été lu, mais par manque de temps, je ne vous ai pas encore répondu dans les formes.
Avec l’été, je compte terminer ces piles de livres
Tout en préparant les nouveautés de la rentrée…